2021 promet d’être une année record pour les fusions et acquisitions d’entreprises[1]. Dans le secteur des services financiers parmi les nombreux rapprochements de ces dernières années, on peut citer : la fusion entre la Société Générale et le réseau Crédit du Nord, le rapprochement entre Generali et Klesia ou la création d’AEMA regroupant Aesio, la Macif et Aviva France notamment.
De nombreuses enquêtes montrent que moins de la moitié des opérations de fusions acquisitions génèrent le niveau de création de valeur attendu[2]. Bien qu’étant l’une des premières causes de leur échec ou de leur ralentissement, la culture d’entreprise semble trop souvent oubliée ou sous-estimée lors de ces rapprochements. Pire, les chocs culturels peuvent participer aux causes de rupture comme cela a été le cas entre Daimler et Chrysler ou entre Alcatel et Lucent. La génération de valeur espérée par le rapprochement de deux entreprises peut être ralentie par le manque de convergence culturelle, les collaborateurs continuant à se designer comme les « ex » de l’une des deux entreprises.
Chez Stanwell et Co-Dynamics, nous sommes convaincus que la culture est un enjeu majeur dans le rapprochement de deux entreprises, et qu’il gagne à être piloté et intégré à chaque étape de l’opération :
- avant, avec la réalisation d’un diagnostic culturel,
- pendant, avec la construction d’une culture cible,
- après, en s’assurant de la bonne diffusion auprès des collaborateurs.
Une culture-cible, ça se co-construit
La construction d’une culture cible partagée s’initie dès le premier jour du rapprochement, au même titre que les sujets organisationnels et opérationnels. Construire la cible consiste moins à intégrer une culture dans l’autre qu’à se demander quelle entreprise les entités veulent être demain et quels marqueurs culturels les représentent le mieux. La définition d’une culture commune repose sur les spécificités des deux cultures existantes. Nous pensons que l’enjeu principal est de la co-construire et de le faire de manière participative. L’expérience montre que la dimension participative d’un tel exercice contribue à augmenter l’acceptation du rapprochement par les collaborateurs, à l’accélérer et à le rendre plus durable.
Il faut également – en attendant de la décliner à un niveau de maille plus fin – générer des représentations fortes du changement de cap au niveau de l’entreprise : construction participative du futur plan stratégique, politique forte en faveur de la QVT, investissement dans les pratiques de feedback en particulier. L’incarnation de cette nouvelle culture dans les premières phases du programme sera essentiellement portée par les dirigeants sous la forme de visites de terrain, conférences, engagement RSE…, un rôle nécessitant un accompagnement spécifique et une articulation forte avec la communication interne. Ce dernier point est essentiel pour cadrer et alimenter les messages que reçoivent les collaborateurs, sans ignorer les canaux extérieurs aux deux entreprises (presse, réseaux sociaux…).
Par exemple, dans les mois qui ont suivi le rapprochement de Fnac et Darty, le nouveau Groupe a mis en avant le respect de l’identité de chaque enseigne, en mettant l’accent sur les forces de chacune : capacité d’innovation de la Fnac et service de Darty. Parallèlement, les deux partenaires ont entamé très vite un travail sur une culture commune, notamment en élaborant le premier plan stratégique du nouveau groupe.
Comprendre les cultures en profondeur
La construction de la culture cible au moment d’un rapprochement requiert une évaluation approfondie des cultures des deux entreprises et une analyse comparative pour en identifier les marqueurs forts et différenciants de chaque acteur. Cette évaluation s’initie dès la phase de construction de l’entité cible et en prévision du dossier social ; elle est réalisée de manière objective et représentative de l’ensemble des strates de l’entreprise. Emmanuel Copin, DRH au moment du rapprochement entre Malakoff Mederic et Humanis, partage ce retour d’expérience[3] : « Pour réaliser notre diagnostic culturel, nous avons interviewé la moitié du top management, des managers des deux structures et nous avons réalisé des micros-trottoirs afin d’associer les collaborateurs et être le plus représentatif possible ».
Pour évaluer une culture d’entreprise, l’essentiel est :
- d’avoir un référentiel d’analyse partagé et commun pour les deux entreprises,
- de mobiliser une grande partie des collaborateurs :
- soit par la réalisation d’enquêtes de perception,
- soit au travers d’ateliers avec des représentants des deux entreprises afin de permettre de dépasser les clivages historiques et les idées reçues.
Pour faciliter cette évaluation, Stanwell et Co-Dynamics ont élaboré un outil cristallisant la culture d’une organisation en 8 dispositions culturelles clés comme la vision claire de l’utilité du travail, la délégation de responsabilité ou la pratique courante du feedback. Cet outil permet d’objectiver le niveau de maturité de l’organisation et de mettre en évidence les perceptions des différentes populations de l’entreprise (dirigeants, managers et collaborateurs). Les enseignements de l’enquête sont ensuite étayés au sein de “focus groups” afin de matérialiser les signes extérieurs comme des pratiques et rituels en vigueur. Au-delà de l’existant, des priorités peuvent être établies dans les dispositions culturelles à développer pour servir la raison d’être de la future entité.
L’objectif est de nourrir les débats au moment des choix structurants de la constitution du plan : promesse collaborateur, modèle d’organisation, rituels et pratiques RH…
La culture, c’est du concret
La culture cible en construction concerne tous les collaborateurs. Elle doit être déclinée en actes visibles et tangibles auprès de chaque population. Emmanuel Copin nous livre son retour d’expérience : « Durant cette phase, on peut très vite se perdre dans les détails, l’enjeu est de trouver le juste équilibre entre obtenir des résultats concrets rapidement et avoir un niveau de déclinaison suffisamment profonds pour embarquer l’ensemble des collaborateurs ».
Lors du rapprochement entre deux autres groupes de protection sociale, la Directrice des Opérations de la retraite complémentaire évoque quant à elle la mise en place d’actions concrètes en matière de QVT et la mise en place de groupes de travail au sein de la chaîne managériale intermédiaire. L’enjeu : accompagner le regroupement des équipes dans la nouvelle entité.
Chez EssilorLuxottica, les fonctions comme la finance ou l’intégration sont pilotées par un tandem composé de personnalités issues de chacune des deux entreprises. Par ailleurs, l’un des deux Chief Integration Officers insiste sur les “principes et valeurs” qui constituent la fondation de la culture corporate de l’organisation fusionnée[4]. Enfin, cette intégration culturelle s’est manifestée concrètement par la mise à disposition de tous les employés d’une plateforme de formation unique en 2021.
Piloter finement la dimension culturelle
L’intégration culturelle se pilote aussi finement que les chantiers métiers tout au long du processus de rapprochement. Dans les cas réussis que nous avons pu rencontrer, la culture d’entreprise fait l’objet d’un chantier spécifique avec une équipe dédiée et un sponsorship fort. L’objectif est de créer une feuille de route dédiée embarquant les adhérences avec les autres chantiers métier (RH, Conduite du changement, relation avec les partenaires sociaux…) et orchestrée en tant que tel au sein de la gouvernance du programme.
Le chantier se fixera des objectifs tangibles partagés et validés avec les responsables du rapprochement adossés à des indicateurs de suivi, véritables thermomètres censés refléter le nouvel ancrage culturel. Agissant dans un premier temps par ses propres moyens (diagnostic culturel, définition de la culture cible, déclinaison par population), le chantier agira par la suite comme support auprès des streams existants pour :
- Alimenter le contenu par population dans les différents supports de la conduite du changement et de la communication (formation posture managériale, formation rôle métier…),
- Veiller à la cohérence des différents projets déployés (nouveau processus de recrutement, rites de célébration, processus de définition de la nouvelle stratégie).
Un facteur différenciant : la nomination d’un référent, qui pourrait être appelé Chief Culture Officer, pour les sujets culturels et garant de la bonne diffusion de cette nouvelle culture. Ce rôle gagne à être assuré par un binôme de dirigeants issus des différentes entités ou par un dirigeant arrivé depuis peu et qui serait donc ouvert à l’émergence d’une culture nouvelle. Des entreprises comme Decathlon ou Netflix ont démontré brillamment comment accroitre leur impact en mettant la culture au même niveau que les fonctions traditionnelles des entreprises. Comme pour ces dernières, l’enjeu est d’autant plus sensible après un rapprochement.
La culture d’une organisation, en particulier au moment d’une fusion, est un sujet stratégique : il demande à être conduit comme tel.
[1] Le Figaro, 7 juillet 2021, https://www.lefigaro.fr/societes/vers-une-annee-record-en-2021-pour-les-fusions-et-acquisitions-d-entreprises-20210707
[2] Etude Deloitte – M&A Trends – Year-end report 2016 Etude Deloitte – M&A Trends – Year-end report 2016
[3] Entretien Stanwell – Mars 2021
[4] “EssilorLuxottica voit les choses en grand”, Décideurs Magazine, 6 décembre 2018